L'ordinaire histoire d'Ernest Boubouroche

17/12/2023

En cette belle soirée de décembre, tel ne fut pas le parcours du combattant pour rejoindre le théâtre de Nesle entre les métros en panne (ça promet pour cet été), la foule se pressant dans les magasins pour les derniers achats de Noël et les multiples badauds marchant à deux à l'heure et admirant les illuminations du quartier de St Germain-des-Près. Fait amusant avant le début de la représentation : les deux copains croisés complétement par hasard à l'entrée du théâtre et qui vont voir le spectacle d'improvisation qui se joue dans la salle d'à côté. Installée au premier rang, j'ai à peine le temps de souffler pour me remettre de mes émotions et de la course de fond que je viens de mener, que le rideau se lève.

Ernest Boubouroche, un bourgeois épicurien, appréciant les jeux de cartes entre amis, manger de bons petits plats et boire moultes poires en fin de repas, a une particularité : c'est un colosse, un vrai géant, un Hercule dans toute sa splendeur. Mais sous ses aspects physiques à la Larry Koubiac, se cache en fait un vrai cœur d'artichaut qui ne bat que pour la belle Adèle, une jeune veuve, qu'Ernest a pris pour maîtresse et qu'il entretient depuis huit ans. Chose que notre monstre gentil ignore c'est qu'Adèle, sous ses airs angéliques, cache un amant dans le placard de sa chambre. Elément classique du vaudeville me direz vous. Cependant, dans cette œuvre signée Georges Courteline, l'amant dans le placard n'est pas un détail parmi tant d'autres. C'est l'élément principal autours duquel la pièce gravite.

D'ailleurs, dès le lever de rideau, cette mystérieuse armoire, placée en fond de scène et qui par sa masse pourrait faire concurrence à Ernest lui-même, interpelle le public. Ce n'est que plus tard que ce meuble va révéler une vraie garçonnière avec tout le confort moderne du 19e siècle : un tabouret, des chandelles, une petite étagère afin d'y ranger sa valisette, un pot de chambre et son rouleau de PQ, des journaux (pratique en cas de rupture de l'article cité précédemment), quelques affichettes pour la décoration, enfin tout le nécessaire pour vivre confortablement dans un petit réduit. Un business plan parfait dont devrait s'emparer une grande enseigne de meubles suédois. Sur le plateau, la présence d'autres meubles massifs et d'accessoires d'époque vient accentuer l'impression d'ancien temps : des chaises, une table de bistrot, une gazette, un plumier accompagné de son un encrier, une desserte à l'hospitalité généreuse remplie de victuailles et surtout de poires... liquides faut-il le préciser.

De plus, dans cette interprétation, un effort singulier a été fait sur les costumes nous rappelant la belle époque : toilettes d'organza, bustier, faux cul, pantalon de velours côtelé, lavallière mauve cardinal, montre à gousset, costume trois pièces et monocle sportivement porté à l'œil droit.
Côté jeu, les comédiens sont animés d'une vitalité à toute épreuve. Ils n'hésitent pas à courir, se battre, rire à gorge déployée, trinquer avec bonne humeur, changer de personnages en un clin d'œil, sourire de manière complice au public, le tout dans une bonhommie toute communicative.

Particularité que j'ai rarement vue au théâtre, l'apparition d'un narrateur placé en devant de scène, venu expliquer l'action en cours mais également la psychologie des personnages, les sentiments les parcourant, le tout avec une bonne dose d'humour. Car « l'ordinaire histoire d'Ernest Boubouroche » est avant tout une nouvelle qui a donné lieu par la suite à une pièce de théâtre. Malin pour une mise en scène placée à la frontière de la déclamation et de la narration, non ?

Au-delà d'une œuvre littéraire, « l'ordinaire histoire d'Ernest Boubouroche » met en lumière la gentillesse de sympathiques géants qui ne demandent à être aimés et la malhonnêteté de petits malins sans scrupules. Ainsi, entre les petites poires de fin de repas, le caractère bonne poire d'Ernest et la poire belle Adèle à la malice plus que douteuse, cette adaptation de l'ordinaire histoire d'Ernest Boubouroche est un joli moment de théâtre, une plongée dans le Paris de la belle époque, un vaudeville plus que fruité dont la morale nous enseigne qu'il ne faut pas se fier aux apparences.

Et maintenant, à vous de jouer !
Maria-Nella

Auteur : Georges Courteline
Artistes : Adèle Esseger, Cédric Godgrand, Geoffrey Lopez, Marius Renier, Grégoire Roqueplo
Mise en scène : Geoffrey Lopez assisté de Cécile Genovese

Théâtre de Nesle - Du 10 novembre au 30 décembre 2023, le vendredi et le samedi à 21 h.
Représentation spéciale le dimanche 31 décembre 2023 à 21 h

https://www.theatredenesle.com/tribe-events/lordinaire-histoire-dernest-boubouroche/