L'Avare

02/06/2019

Samedi 1e juin. 19h00. Quelle journée! Je sors à peine d'une pendaison de crémaillère (un peu fatiguée), que je dois me précipiter à nouveau dans le RER. Ce soir, accompagnée de mes amis Julien* et Bruno*, je vais assister à l'avant-dernière le l'Avare mis en scène par Tigran Mekhitarian (le même metteur en scène des Fourberies de Scapin, pièce vue il y a un mois et demi au théâtre 13 - cf. article). Vu comment j'étais emballée pour les Fourberies, je n'ai donc pas intérêt à être en retard.

20h25. Après moultes péripéties, mes compagnons et moi-même traversons l'enceinte de la Cartoucherie. C'était juste mais ça valait le coup de cavaler un peu, déjà pour le lieu. Dès l'entrée sur le site, je sens les étoiles m'envahir les yeux. C'est la première fois de ma vie que je passe les grilles de la cartoucherie dans le 12e arrondissement. Cet endroit atypique qui pendant longtemps a été un lieu de fabrication de munitions, est un concentré du 6e art en regroupant à lui seul pas moins de quatre théâtres, sans compter divers ateliers d'art dramatique.

Dans le théâtre de l'épée de bois, il règne une magie me rappelant le Globe à Londres. En montant les marches qui nous séparent de la salle, je comprends sans surprise que cette interprétation va être placée sous le signe de la modernité, le spectacle commençant à l'entrée de la salle (tiens, comme dans les fourberies :-) ). Nous sommes accueilli(e)s par des hommes/femmes à cagoule, armé(e)s de ce qui semble être des fusils de type M16A1. Sur scène, certains comédiens sont de côté et ne semblent pas remarquer le public qui s'installe (public qui sera sollicité à bien des égards pendant la pièce). 
La salle a conservé son côté industriel : grand carré de briques au sol, rails pour wagonnets, poutres métalliques, réverbères gris anthracite. La lumière inonde ce carré de briques et c'est l'obscurité qui fait office de coulisses à cour et à jardin. Le décor est presque vide. En plus de deux trois accessoires par-ci par-là, trône au milieu de la scène ce qui semble être une chaise à roulettes, cachée en partie par une couverture.

La pièce commence par un règlement de comptes avec pour musique de fond "Bang Bang" interprétée par Nancy Sinatra. Dans le petit fascicule qui nous a été distribué, il est expliqué que dans cette version "Harpagon est le chef du plus grand réseau de banditisme de Paris". En gros, ce n'est pas un tendre et qu'il n'est pas là pour rigoler. 
Pour résumer l'histoire, Harpagon un riche bourgeois d'âge mûr, souffre d'un très gros défaut. Il est avare "comme un arracheur de dents". Sa vie n'est rythmée que par un objectif, récupérer du bien, quel qu'il soit, par n'importe quel moyen et le garder pour lui, quitte à vivre chichement et à s'engueuler avec tout le monde. Et dans cette version c'est souvent lui qui gagne... à coup de poings américains. Le Seigneur Harpagon a deux enfants : Élise, amoureuse de l'intendant de son père, Valère, et Cléante dont le cœur est épris de la jeune Marianne, orpheline de père. Les deux couples envisagent sérieusement de se passer la bague au doigt. Tout serait simple si l'avarice d'Harpagon ne venait pas contrecarrer les plans de ses deux enfants. En effet, le vieux bonhomme aimerait que sa fille épouse un bougre aussi riche qu'il est vieux, le Seigneur Anselme. Autant l'écrire de suite, ce projet d'union n'est pas du tout, mais alors pas du tout du gout d'Elise et de Valère. Parallèlement à cela, Harpagon a quant à lui jeté son dévolu sur... devinez... la jeune Marianne et souhaiterait la demander en épousailles "pourvu qu'il y trouve quelques biens". Ça ne sent pas très bon non plus pour Cléante. Ainsi, les quatre amants vont devoir rivaliser de malice pour anéantir les plans du Padrino. Et pour couronner le tout, Harpagon a secrètement reçu 1.600.000€, soit à peu près 10.000 écus (en tenant compte des taux de conversion du jour du Yen et de la Livre Sterling). Harpagon a placé l'agent dans une cassette et l'a enterrée dans le jardin. Pendant toute la pièce, le protagoniste principal va lutter contre la peur de se voir dérober son bien et va user de subterfuges pour que son secret ne soit jamais découvert.

Cette version de l'avare en mode « Tarantino » reprend les codes urbains chers à Tigran Mekhitarian (le hip-hop, le slam, la musique urbaine) tout en respectant la prose de Molière. Dans cette interprétation tout est urbain même les costumes : un costard avec des baskets, de gros joggings, jeans, bombers... Côté jeu, il faut saluer l'interprétation d'Harpagon (Théo Navarro-Mussy). Sous ses airs d'oncle Picsou, on sent la sensibilité d'un homme profondément triste qui s'est réfugié dans le vice de l'argent. D'ailleurs, le jeu des acteurs va jusqu'à nous interpeller sur une question plus que d'actualité : jusqu'où l'appât du gain peut-il nous mener? Plus généralement, tout au long de la pièce, l'ensemble de troupe joue avec ce double prisme entre classicisme du texte et modernité urbaine, le tout dans une énergie passionnante. Petit clin d'œil à M.Claude (Souleyman Rkiba), personnage drôle et attachant, qui ne sait pas quoi faire pour faire plaisir à ses maîtres.

22h30. La pièce est terminée. Le public est conquis (nous les premiers). La navette pour Vincennes est sur le point de partir. Nous montons dedans à l'arrache. C'était juste mais ça valait le coup de cavaler un peu, déjà pour le lieu, mais aussi et surtout pour la pièce. Les étoiles n'ont pas fait qu'envahir mes yeux. J'en ai plein la tête.


Et maintenant, à vous de jouer!
Maria-Nella

*les prénoms ont été changés

Texte : MOLIÈRE
Mise en scène : Tigran MEKHITARIAN
Avec : Alexiane TORRES (Frosine), Julia CASH en alternance avec Caroline MARRE (Elise), Délia ESPINAT DIEF (Marianne), Arthur GOMEZ (Valère), Samuel YAGOUBI (La Flèche), Etienne PALINIEWIEZ (Maître Jack), Souleyman RKIBA (commissaire, Maître Simon, Dame Claure, La Merluche, le Fou), Théo NAVARRO-MUSSY (Harpagon), Nicolas LE BRICQUIR en alternance avec Axel GIUDICELLI (Cléante), Tigran MEKHITARIAN (Seigneur Anselme)
En Scène! Productions
L'Illustre Théâtre

La cartoucherie - Théâtre de l'épée de Bois - 1e juin 2019