Polyeucte

11/06/2022

Était-ce l'envie de varier les plaisirs ou la visite guidée de la Comédie Française de la semaine dernière, toujours est-il qu'en ce samedi soir de janvier je me retrouve à l'espace Bernanos, pour assister à Polyeucte, une tragédie de Pierre Corneille. Fred*, mon cousin du sud-ouest m'a rejoint pour l'occasion.

Nous sommes au IIIe siècle après JC à Mélitène. Polyeucte, un seigneur Arménien, a épousé Pauline fille d'un gouverneur Romain, Félix. Le jeune couple est heureux et profondément complice. Tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes si Polyeucte n'était pas tenté de se convertir au christianisme. A une époque où le culte des Dieux Romains était légion, le monothéisme n'avait pas vraiment sa place. Pire, il était puni de mort. Pauline, qui ignore tout du dessin de son mari, apprend alors que Sévère, un grand chevalier Romain qui s'était épris d'elle au-paravent et qui était présumé mort, est de retour. Pauline, dont le cœur est pur et vertueux se voit donc déchiré entre l'homme qu'elle aime d'un amour raisonné mais qui court à sa perte et celui pour lequel elle frémit d'une passion brûlante.

Dans cette interprétation, la troupe nous offre une version de Polyeucte à la fois sobre et recherché. Le fond de scène est décoré d'une gravure en noir et blanc montrant Polyeucte profanant un temple Romain (cf. photo d'illustration). Ici la précision semble être le maître mot aussi bien dans les déplacements que dans la déclamation. En effet, il n'est pas donné à tout le monde de déclamer en alexandrins sans butter et sans que la rythmique ne ronronne au risque d'endormir le public. Ici les comédiens arrivent à insuffler une cadence pétillante avec parfois les pointes d'humour bien senties.

Un effort et un soin tout particulier ont été apportés dans la confection des costumes. Les huit comédiens arborent tous des tuniques chatoyantes au très beau tombé. Loin de moi l'idée de me transformer en Cristina Cordula du sixième art, mais j'avoue avoir rarement vu des costumes aussi jolis. Le plissage et les finitions sont très soignés. De plus, la symbolique y est très présente. Premièrement, tous les personnages portent par-dessus leurs robes une bande de tissu qui leur enserre leurs épaules tels les concepts dont ils semblent prisonniers. De plus, la bande de tissu des chrétiens est d'un blanc immaculé alors que celle des Romains est rouge sang, code couleur repris dans leur maquillage.

La mise en scène est sobre et emprunte quelques codes du théâtre moderne. Il n'est donc pas rare de voir les comédiens évoluer dans toute la salle parmi le public qui n'ose bouger un cil de peur de rompre le charme. Car oui, l'interprétation de Polyeucte qui en est faite plonge avec talent le public au cœur de l'intrigue. Cette tragédie aborde des thèmes universels (l'amour, la mort, la vertus, l'honneur...) et parfois encore d'actualité (la condition de la femme, le respect des croyances et d'autrui...). Petite originalité, la fin de la pièce, que je ne dévoilerai pas, est pour le coup assez inattendue.

J'avoue avoir été happée par cette pièce sans même m'en rendre compte. Pourtant la tragédie et les alexandrins peuvent en rebuter plus d'un, car généralement le public sait qu'il n'est pas là pour se fendre la poire. Mais ici, nous sommes très vite pris au jeu de cette tragédie tant au niveau de l'interprétation qui en est faite, que du texte. Bref, un très beau moment de théâtre où tragédie rime avec travail abouti.

Et maintenant, à vous de jouer !
Maria-Nella

Texte : Pierre Corneille
Avec : Aloysia Delahaut, Romain Duquaire, Dominique Journet Ramel, Laurence Le Dantec, Augustin Ledieu, Alexandre Leprince-Ringuet, François Marais, Nicolas Pierchon, Ronan Vernon
Mise en scène : Rafaële Minnaert
Scénographie, costumes et lumières : Philippe Parent
Réalisation des costumes : Anne Ruault
Régie Générale : Frédéric Brec
Conception graphique : Erick Ganne

*le prénom a été changé