Olivier Schmidt : metteur en scène et auteur de la compagnie les Joyeux de la couronne
Le rideau est tombé il y a quelques jours sur les scènes de théâtre et
le sixième art fait grise mine. Aujourd'hui c'est le sixième jour de
confinement à cause de cette cochonnerie de "corona machin". Bien avant
tout le bazar provoqué par ce « microbe », j'avais pour projet
d'interviewer Olivier Schmidt, auteur et metteur en scène de la compagnie les
Joyeux de la couronne. Mais les circonstances actuelles font qu'il me paraît
compliqué de le rencontrer en face à face sans risquer 135 balles d'amende.
Pourtant, je suis habituée aux situations de crise. Souvenez-vous, il
y a quelques mois je menais ma première interview en pleine période de grèves
des transports en commun. Aujourd'hui, avec le virus en prime, ma motivation à
poursuivre le blog contre vents et marées aurait pu se prendre un sacré coup
dans l'aile. Mais impossible n'est pas Maria-Nella, car comme mes amis aiment à
le dire « toi, quand tu fonces dans un mur, c'est le mur qui perd ». A
croire que je ne suis pas bélier pour rien. C'est donc avec un peu de poussière
dans les cheveux, armée de mon téléphone et de mon précieux carnet de notes que
je démarre l'interview d'Olivier Schmidt en visioconférence.
Maria-Nella : Avant de
commencer Olivier, en cette période de confinement comment va la troupe ?
Olivier Schmidt :
La troupe se porte plutôt bien. Nous nous tenons à distance tout en
prenant des nouvelles des uns et des autres par des appels fréquents. Nous
essayons également de rester en forme car une de nos comédiennes, Séverine Wolff,
nous donne des cours de fitness en visioconférence une fois tous les deux
jours.
Parallèlement, nous continuons à travailler sur le festival d'Avignon
en espérant qu'il ne sera pas annulé. Nous sommes également en contact réguliers
avec les théâtres sur lesquels nous sommes programmés. Et bonne nouvelle, les
dates commencées au Théâtre Montmartre Galabru (TMG) pour « l'Empereur des
Boulevards » vont être reportées en septembre 2020.
Maria-Nella : Olivier, tu
es le metteur en scène et l'auteur de la compagnie les Joyeux de la couronne.
Quel est ton parcours artistique ?
Olivier Schmidt :
J'ai commencé la danse classique à l'âge de cinq ans, discipline que
j'ai pratiquée pendant plus de quinze ans. Mais arrivé à l'adolescence j'ai
senti que je ne pouvais m'exprimer aussi librement que je le souhaitais. A
l'âge de dix ans j'ai commencé le théâtre, puis l'année suivante le chant. J'ai
compris alors que ma carrière serait polyvalente et en adéquation avec ce que
ces nouvelles formes d'expression pouvaient m'apporter en termes de création.
Plus tard, j'ai donc intégré le cours Florent et l'école internationale
Béatrice Brout afin d'acquérir le bagage technique de comédien tout en
continuant à assouvir mon envie de chant et de danse. En gros, je n'ai pas
voulu m'inscrire dans une seule formation mais être beaucoup plus polyvalent un
peu sur le modèle anglo-saxon de l'artiste qui doit tout savoir faire.
Maria-Nella : Peux-tu nous
dresser un portrait de la troupe les Joyeux de la couronne ?
Olivier Schmidt :
Les joyeux de la couronne sont nés il y a presque quatre ans avec le
spectacle « Ludwig », pièce qui retrace la vie du Roi Louis II de Bavière.
L'aventure Avignonnaise a commencé un an après sa création sous l'impulsion de
Fabienne Govaerts, Directrice du
Théâtre le verbe fou à Avignon et de la Clarencière à Bruxelles. Fabienne, qui
fait partie des Petits Molières, connaissait un peu mon travail par le biais du
spectacle « Monsieur » créé quelques années auparavant. Quand elle a
su qu'on s'embarquait dans l'aventure Ludwig, elle nous a tout de suite proposé
Avignon.
Maria-Nella : Pourquoi
avoir choisi « les Joyeux de la Couronne » comme nom de troupe ?Olivier Schmidt :
A la base, nous voulions un nom qui nous soit identifiable. A cette
époque nous étions basés à Nogent-sur-Marne dans le 94, en petite « couronne »
de Paris. Pour le terme « joyeux » nous trouvions que c'était un mot qui représentait bien notre état d'esprit. Ce double jeu de mots a donné le nom de notre
troupe, nom qui au final s'est trouvé assez facilement
Maria-Nella :
Actuellement, vous êtes à l'affiche du TMG pour l'Empereur des boulevards,
votre dernière création. Que peux-tu nous en dire ?
Olivier Schmidt :
Il s'agit d'un spectacle né un peu par accident. L'été dernier, quand
nous jouions notre deuxième spectacle « Monsieur Chasse » à Avignon,
nous nous sommes posés la question « et après ? ». Feydeau nous
ayant tellement porté chance, pourquoi ne pas écrire quelque chose sur la vie
de cet auteur ? Etant un fan de la première heure et ayant lu presque
toutes ses pièces, il y avait vraiment matière à raconter une histoire. Nous
sommes donc rentrés d'Avignon fin juillet et le 1e août je
commençais à travailler sur le sujet. A la fin du mois, j'ai envoyé un premier
jet à la compagnie pour avis. Tout le monde est tombé assez d'accord sur le
sujet et nous nous sommes donc lancés dans cette aventure.
Maria-Nella : Ce fut donc
un spectacle monté très rapidement car il a été mis à l'affiche du théâtre de
la croisée des chemins début 2020 ?
Olivier Schmidt :
Effectivement. La première lecture s'est faite fin septembre 2019 et
en trois mois le spectacle était monté pour le jouer début 2020. Cet automne
nous jouions Monsieur Chasse à Paris et nous avions un engagement pour janvier.
Comme nous avions peu de temps devant nous, les choses se sont faites
naturellement avec beaucoup d'engouement et de force créative. Ce délai
restreint, un peu en mode flux tendu, nous a permis d'aller à l'essentiel sans
trop réfléchir, ce qui a fait la réussite du projet.
Maria-Nella : Pourquoi
avoir choisi de jouer « Monsieur Chasse » de Georges Feydeau comme deuxième
spectacle de votre répertoire ?
Olivier Schmidt :
Cela faisait des années que je voulais monter un Feydeau mais c'était
une chose que je me refusais car il s'agit d'un exercice très exigent. Le
niveau technique est tel que le risque de tomber dans une caricature un peu
poussiéreuse était trop grand. J'ai donc préféré attendre d'avoir la maturité
et l'expérience pour me lancer. Un fois sûr de la solidité de la compagnie,
Feydeau m'a paru couler de source. Il ne restait plus qu'à choisir la pièce.
Comme nous souhaitions monter un Feydeau peu connu, Monsieur Chasse s'est
naturellement imposé.
Maria-Nella : Votre
répertoire comprend également des œuvres originales basées sur la vie de
personnages célèbres. Que peux-tu nous dire « Ludwig », la première
création des Joyeux de la Couronne ?
Olivier Schmidt :
Ludwig est une fable historique librement inspiré de la vie et
l'excentricité du Roi Louis II de Bavière. Cette pièce est traitée sous une
forme fantasmagorique un peu à la Tim Burton.
Au début, mes connaissances sur ce personnage s'arrêtaient l'image
d’Épinal que j'en avais : cousin de Sissi, le château de Neuschwanstein en Allemagne,
son surnom de « roi perché »... Kevin Maille, le Directeur de la
troupe, m'a alors fait découvrir son histoire par le film « le crépuscule
des Dieux » de Luchino Visconti et ce fut une révélation. L'histoire de ce
Roi est tellement riche qu'il m'a paru évident qu'il fallait raconter son
histoire. La vie de Ludwig interpelle sur des sujets propre à l'humain :
les doutes, les questionnements, le basculement dans la folie, le besoin de
reconnaissance, d'assumer ce qu'on est... J'ai donc commencé à écrire ce
spectacle tout en continuant mes recherches car écrire sur un personnage
historique est un exercice d'équilibriste. Il faut avoir un bagage solide sur le
sujet même si le théâtre permet de prendre quelques libertés. Il fallait
que l'ensemble soit cohérent car le trame devait à la fois rester fidèle au
personnage tout en racontant sa vie sous forme de conte.
Maria-Nella : Peux-tu nous
parler de ton processus de création en matière de mise en scène ?
Olivier Schmidt :
C'est horrible à dire mais en fait je ne fais rien.
(Rires)
Maria-Nella :
Bon ben salut ! Fin de l'interview !
(Rires)
Olivier Schmidt :
En fait, j'évite d'intellectualiser les choses pour une raison très
simple. Plus on intellectualise, plus on réfléchit, plus on réfléchit, plus on se
censure. Au début, je construis dans mon imaginaire une vague idée de ce que
j'aimerais et c'est pendant les répétitions avec mes comédiens que je tranche.
Cela va de la couleur de la robe, à l'univers visuel, en passant par la musique.
En outre, je laisse mes comédiens proposer des choses, que je garde ou que je
transforme.
Si je devais résumer, ma méthode de travail n'est pas de faire
soixante plans à l'avance mais laisser l'imagination voyager et la magie
opérer.
Maria-Nella : Dans vos
spectacles, la musique est également un élément au centre de vos créations ce
qui fait l'originalité de vos œuvres. Les morceaux joués en direct au piano
sont-ils des créations ou des reprises ?
Olivier Schmidt :
Pour certains spectacles se sont des reprises. C'est le cas dans « Monsieur
Chasse ». La trame se passant dans les années 30, il fallait que les
musiques jouées fassent écho à un certain répertoire.
Pour « l'Empereur des boulevards », c'est la première fois que
nous avons des créations. Notre pianiste, Justine Verdier, avait la volonté
d'écrire de la musique de scène en plus des musiques reprises de type Offenbach.
Mais pour tout te dire, nous allons de plus en plus tendre vers la création
musicale.
Maria-Nella : J'aimerais
qu'on s'arrête un instant sur les costumes, le maquillage, les décors et les
perruques (je pense notamment à celle de Mikaël dans « Monsieur Chasse »
dont l'expression capillaire est en mode aspirateur). Ces éléments ont une part
très importante dans ta scénographie. Pourquoi ce choix ?
Olivier Schmidt :
C'est dans le détail qu'on fait la réussite des choses. Le moindre
costume, la moindre paire de chaussures, la moindre lumière, le moindre élément
de décor, la moindre inclusion musicale, font partie intégrante de mon
processus créatif. Par rapport à nos pièces, ce besoin d'aller chercher toutes
ces choses est impératif parce ce sont des œuvres qui s'inscrivent dans une
époque très particulière nécessitant un travail de costumes. Difficile de
monter « Monsieur Chasse » en jean-baskets. Il y en a qui le font et
même très bien mais personnellement, ça n'est pas mon fer de lance. Cela est
sans doute dû à l'influence des metteurs en scène qui m'ont nourri plus jeune
et qui ont cet amour du détail. Je pense à Jérôme Savary par exemple.
Personnellement, quand je vois un comédien rentrer sur scène et qu'il n'est pas
maquillé, même dans un propos très contemporain, je trouve qu'il manque un
petit quelque chose.
Maria-Nella : Ça n'est pas
très facile de dénicher des costumes et accessoires d'époque. Où les
trouvez-vous ?
Olivier Schmidt :
Etant donné que nous n'avons pas des moyens délirants, ce sont des heures
de recherches dans des vides-greniers, des heures à créer, à transformer, à
refaire... Nous avons pris conscience que c'est un travail qui interpelle le
public parce que nous ne sommes pas beaucoup à le faire. C'est d'ailleurs
devenu notre marque de fabrique que de proposer des spectacles riches en
décors, costumes, maquillage et perruques.
Maria-Nella : Vous êtes
une compagnie qui « cartonne ». D'ailleurs vous avez été nommés et
primés plusieurs fois aux Petits Molières, dont le petit Molière du meilleur
spectacle de comédie pour Monsieur Chasse. Peux-tu nous parler de cette
expérience.
Olivier Schmidt :
C'est un joli cadeau qui récompense tous nos efforts. Ces prix ont
contribué à ce que le spectacle continue à se remplir tous les soirs, sur la
durée et avec un public extérieur de plus en plus large. Les petits Molière permettent de se faire voir au milieu des grosses productions. Parce que les
petites troupes, faute de moyen ou de tête d'affiche peinent à se faire une
place. Personnellement, j'espère que cela va perdurer, pour nous mais également
pour toutes les compagnies qui peuvent prétendre à cette organisation.
Au-delà de la statuette, je souhaiterais que dans un futur plus ou moins proche, les petits Molières offre la possibilité de donner des moyens productifs par le biais de bourses ou de productions par exemple. D'ailleurs Fabienne Govaert offrait aux meilleurs spectacles une programmation à Avignon sans contrepartie, ce qui est énorme quand on sait combien coûte un spectacle au festival.
Maria-Nella : Il me semble
que cette année encore, le Festival d'Avignon est inscrit à vos agendas.
Olivier Schmidt :
C'est exact. Nous allons jouer « L'empereur des boulevards »
au verbe fou.
De plus, en dehors du cadre stricte de la compagnie, Justine Verdier a
sa propre compagnie plus centrée sur la musique. Il y a deux ans elle avait
créé un spectacle musical pour le jeune public qui s'appelait « Féérie
Lyrique » et ayant pour vocation de faire découvrir l'opéra aux plus
jeunes. Justine m'a demandé de reprendre l'écriture de ce spectacle et de
refaire toute une mise en scène. Cette année, nous allons présenter à Avignon
cette nouvelle version de « féérie lyrique ».
Enfin, Séverine et moi-même travaillons avec Florence Feoure, la
directrice du Théo Théâtre à Paris. Nous allons jouer à Avignon dans « le
petit avare » qui est le troisième petit Molière que Florence met en scène
après « le petit médecin » malgré lui et « le petit bourgeois
gentilhomme ». Certains d'entre nous partent donc à Avignon avec trois
spectacles dans leurs valises.
Maria-Nella : Quels sont
les projets d'avenir pour les Joyeux de la couronne ?
Olivier Schmidt :
Etant donné les circonstances actuelles, notre programmation de ce
printemps prévue au TMG va être décalée à cet automne pour « l'Empereur
des boulevards ». Puis, nous avons quelques dates de tournée pour « Monsieur
Chasse » qui continue sa route. Enfin, en fonction des agendas de chacun, il
se peut qu'en janvier 2021 nous présentions notre nouveau spectacle.
Maria-Nella :
Affaire à suivre alors...
D'ici là, je conclurai mon interview sur ces quelques phrases. Prenez soin de vous et des autres. Restez le plus possible chez vous car il n'y a que comme ça qu'on y viendra tous à bout (merci au film le pari pour les dialogues) et qu'on pourra bien vite retrouver le chemin des théâtres.
Et maintenant, à vous de jouer !
Maria-Nella
Auteur et metteur en scène : Olivier SCHMIDT
Direction : Kevin MAILLE
Direction musicale : Justine VERDIER
Chorégraphies : Séverine WOLFF
Création visuelle : Franck HARSCOUET
Comédiennes et comédiens : Julien HAMMER, Florian DUFOSSE, Julien ANTONINI, Alexandra MAGIN, Séverine WOLFF, Kevin MAILLE, Olivier
SCHMIDT, Patrick TULASNE, Mickaël ALABERGERE, Léonard COURBIER, Aurore MAZIERES,
Matthias-Leonhard LANG
Interview réalisée le 21 mars 2020