L'hôtel du libre-échange

29/03/2020

Radio confinement « bonsoir ». Nous sommes le dimanche 29 mars 2020, 13e jour de l'isolement national. Mes ami(e)s, mes amours, ma famille et mes emmerdes commencent sérieusement à me manquer. Mon appartement ressemble à un champ de bataille, et même si je suis encore loin d'avoir lu tous les ouvrages que compte ma bibliothèque, je tourne un peu en rond.
Le monde du théâtre me semble bien lointain. Depuis ma dernière interview d'Olivier Schmidt, mon blog fait triste mine. Même mon petit Baku (voir mon compte Instagram) n'a plus le cœur à l'ouvrage. Dans cette atmosphère un peu morose, j'étais loin de me douter que le salut viendrait du miracle de l'audio-visuel.
Et bien soit ! Comme dirait Le Chevalier Henri de Lagardère (qui a dit « de Pardaillec » ?) « Si tu ne peux aller au théâtre, alors le théâtre irat'à toi » ! France 5 a eu la bonne idée de diffuser des captations de la Comédie Française tous les dimanches soirs dans une émission « Au théâtre chez soi ». Cela me rappelle vaguement une émission des années 60. J'ai donc décidé de relever le défi et de poursuivre l'écriture de mes articles coups de cœur par ce biais. Et quoi de mieux qu'un Feydeau, en l'occurrence « l'hôtel du libre-échange », pour nous mettre dans le bain ?

La couple Paillardin traverse une tempête conjugale. Monsieur Paillardin, architecte et expert auprès des tribunaux, ne sait pas la chance qu'il a d'être marié à la belle et douce Marcelle. En effet, ce mari gougeât délaisse son épouse depuis quelques temps sans réagir malgré les avertissements de sa femme. Marcelle le menace même de prendre un amant. Cette réflexion ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd, mais plutôt dans celle de M. Pinglet, ami et associé de Paillardin, et marié de son côté à Angélique, une femme peu attirante. Secrètement épris de Marcelle, Pinglet tente vainement d'avertir Paillardin que son épouse pourrait-être le sujet de convoitises masculines. Mais Paillardin n'en a cure et fait la sourde d'oreille persuadé que sa femme lui restera fidèle. Pinglet en profite alors pour « sauter » sur l'occasion et déclarer sa flamme à Marcelle. Peu méfiant, Paillardin est très loin de se douter que Madame va mettre alors sa menace à exécution et accepter la proposition d'adultère M. Pinglet. Tadam ! Rendez-vous est pris à l'hôtel du libre-échange. A en croire le slogan, c'est l'endroit idéal pour un cinq à sept en bonne et due forme : « Sécurité et discrétion ! Hôtel du Libre-Échange, 220, rue de Provence ! Recommandé aux gens mariés... ensemble ou séparément ! ». Je vous laisse imaginer la suite du programme. Nous sommes dans un Feydeau.

Dans cette interprétation de la Comédie Française, toute la pièce est une confrontation permanente entre deux mondes : celui de la fidélité dans le mariage et celui de la perpétuelle tentation de la débauche. On le voit notamment à travers le code couleur qui est employé dans les décors et les tenues. 
Le rideau se lève sur un appartement bourgeois du 19e siècle. Nous sommes dans un atelier de travail. Telle l'allégorie que représente l'engagement du mariage, la scénographie des actes I et III mise sur une sobriété presque monacale : canapé de velours vert à jardin, table d'architecte à cour, grande baie vitrée art déco et bibliothèque en fond de scène. Les décors de l'acte II sont quant à eux beaucoup plus riches. La scène est divisée plusieurs espaces, dont certains sont cachés. En devant de scène, la réception de l'hôtel, juste derrière un espace central menant soit aux chambres, soit, par le biais d'un escalier en colimaçon, au rez-de-chaussée ou sur le toit de l'hôtel. La chambre à jardin, lieu de vice en mode boudoir de la Marquise, est richement décoré dans des tons chauds de rouge et rose. L'autre chambre, ou plutôt le dortoir à cour mise quant à lui sur la sobriété en jouant sur des nuances plus froides de bleu. Dans l'acte II, tout l'espace scénique est employé. Mais quand je dis tout, c'est TOUT ! Du sol au plafond. En effet, certaines scènes sont jouées en hauteur au clair de Lune quand elles ne côtoient pas une scène dans la scène, derrière un rideau de lumières. Pour permettre le changement de décors, la mise en scène prévoit une interprétation musicale de Laurent Lafitte (Bastien) et de Bakary Sangaré (Boulot).

Dans la plus pure tradition des pièces en costumes, ces derniers respectent le style 19e. Les toilettes de ces dames sont richement ornées de fines dentelles et autres rubans. D'ailleurs, on peut souligner le code couleur de Mesdames Paillardin et Pinglet : rose et rouge pour Marcelle (la débauchée) et bleu et violet pour Angélique (la femme fidèle). Autre détail qui rajoute du pétillant aux tenues, le travail effectué sur le maquillage et la capillarité des tous les protagonistes : moustaches en frisottis pour les uns, postiches et autres papillotes défiant la gravité pour les autres.

Plus généralement, que dire de cette interprétation qui frôle la perfection ? Parce qu'on ne va se mentir. La Comédie Française, c'est quand même LA référence. Côté jeu, il n'a rien à redire. Les comédiens sont tous à fond dans leurs personnages qu'ils soient importants (les couples Paillardin et Pinglet, Mathieu, Bastien...) ou plus secondaires (les filles de Mathieu, les livreurs, les forces de l'ordre...). Dans la plus pure tradition de Feydeau, le rythme de jeu est effréné (les comédiens doivent être en forme), l'humour, les quiproquos et autres arroseurs arrosés se cachent partout jusqu'aux derniers instants de l'intrigue. Au milieu de toutes ces performances, je tiens quand même à souligner la classe de Michel Vuillermoz qui contraste si bien avec le comique de situation hilarant de Christian Hecq.

Certes, il est toujours plus plaisant pour les amoureux de théâtre que d'assister en direct aux représentations. Mais à la guerre comme à la guerre, confinement oblige, je ne peux que recommander ces pièces. Déjà pour leur grande qualité mais aussi parce qu'outre le fait de passer le temps, cette initiative permet la diffusion à grande échelle d'œuvres célèbres du répertoire classique, participant ainsi à leur démocratisation. De plus, j'étais très bien placée, en première catégorie, dans le confort de mon canapé. Je pouvais même allonger mes jambes et n'ai pas eu besoin de faire un effort vestimentaire. Enfin, la place était très abordable et m'a seulement coûtée une infime partie de la redevance audio-visuelle. D'ailleurs pour votre information, la Comédie Française lance sa web TV sur son site internet et son compte Facebook. Tous les jours à partir de 16h00, seront diffusés des portraits de comédiens, des spectacles de cabaret ou des captations d'archivage. Un retour sur 40 ans de patrimoine théâtral. Pour conclure sur la diffusion du 29 mars 2020, « au théâtre chez soi », est une très belle initiative qui, en ces temps de confinement, permettra je l'espère d'entretenir les passions théâtrales et d'en faire naître d'autres.

Et maintenant, à vous de jouer !
Maria-Nella

Pièce en trois actes de Georges Feydeau et Maurice Desvallières

Mise en scène : Isabelle Nanty à la Comédie-Française (2017)

Avec les comédiens de la troupe de la Comédie-Française : Anne Kessler (Angélique - Mme Pinglet), Bruno Raffaelli (Chervet et le Commissaire), Alain Lenglet (Ernest), Florence Viala (Marcelle - Mme Paillardin), Jérôme Pouly (M. Paillardin), Michel Vuillermoz (M. Pinglet), Bakary Sangaré (Boulot), Christian Hecq (Mathieu), Laurent Lafitte (Bastien), Rebecca Marder (Violette, fille de Mathieu), Pauline Clément (Victoire, femme de chambre de Pinglet), Julien Frison (Maxime, neveu de Paillardin).

Réalisation : Vitold Krysinsky - Production : France Télévisions Studio - 2017

PS : Je tiens à vous remercier cher(e)s lecteurs/lectrices, car en dépit de la crise sanitaire et du peu de billets produits, la fréquentation de mon blog n'a pas fléchi au regard des statistiques de visite. Je finirai ce petit message en remerciant tous les personnels des hôpitaux, des EHPAD, et tous les héros de l'ombre qui participent à l'effort de guerre. Et comme Roméo et Juliette, rendez-vous tous les soirs au balcon pour une standing ovation nationale ! Surtout tenez bon, gardons le sourire ensemble et prenez soin de vous ! C'est à nous de jouer !