Les filles aux mains jaunes

16/10/2022

1914. La France rentre dans le premier conflit mondial. Partout c'est l'euphorie. La défaite de 1871 a laissé un goût amer et pour la population il est temps de laver l'honneur bafoué. Les pères et les fils s'en vont sous les hourras des mères et des sœurs. Les couples semblent presque heureux de se séparer persuadés qu'ils se retrouveront bientôt. Mais l'euphorie des premières semaines de conflit laisse vite place aux désillusions face à une guerre qui s'enlise.

A l'arrière, tout est bon pour soutenir l'effort de guerre et les femmes sont appelées en renfort dans les usines d'armement. Celles qui n'avaient jamais quitté leurs fourneaux se voient ainsi catapultées dans des ateliers de construction d'obus. C'est dans l'une de ces usines que vont se croiser les destins de Rose, Jeanne, Louise et Julie, quatre femmes aux vies différentes et que la guerre va rapprocher dans un autre combat, celui de l'égalité salariale. Car avant de prendre le relai des hommes, rien ne prédestinait ces femmes à devenir des ouvrières acharnées. Au sein de ces usines, rien n'est pensé pour elles et pour leurs besoins, pas même un petit coin pour se débarbouiller de cette étrange poussière jaune qui leur colle à la peau. Motivées par les articles de la féministe Madeleine Maury, ces femmes vont petit à petit se mettre en ordre de marche pour défendre leurs droits jusqu'à se mettre en grève.

Dans cette pièce tout est calculé au diapason : des décors, en passant par le son et lumières jusqu'aux costumes des comédiennes. La scène est ornée de grands échafaudages en bois qui par un jeu de roulettes se transforment tour à tour en atelier, en fenêtre ou en tribune. Le son et la lumière ont des rôles très importants dans la mise en scène. Les ouvrières chorégraphient leurs mouvements tout en montant en intensité à mesure que les percutions faites de leurs mains vont crescendo. Et quand ce n'est pas elles qui rythment la cadence de leurs mains, c'est le bruit des tours et des machines qui vient leur rappeler leur triste quotidien. Un jeu d'éclairages froid vient renforcer l'atmosphère irrespirable de l'usine. Et au cours d'une danse exécutée en avant-scène par les quatre protagonistes, des rayons de lumière jaune se déposent sur elles et laissent à penser qu'une menace invisible plane sur ces femmes.

Concernant les costumes, nos héroïnes arborent les tenues des ouvrières de l'époque : de grandes robes ornées de tabliers souillés, pas toujours pratiques, voire dangereux, pour le travail à la chaine. Seule Louise, personnage par qui la lutte prend racine, est la seule à porter symboliquement un pantalon.

Dans « les filles aux mains jaunes », les quatre comédiennes jouent littéralement avec leurs tripes. Elles occupent l'espace d'une présence à couper le souffle. Si le décor est imposant, peu d'accessoires sont utilisés. Tout est mimé avec justesse, des manipulations d'obus aux presses industrielles.

Pour conclure, le public ne voit pas le temps passer dans « les filles aux mains jaunes » et qui figurera dans mon top cinq de l'édition d'Avignon 2021. C'est une pièce émouvante et puissante, et qui, au-delà de ces destins croisés, met en lumière une question toujours d'actualité : l'égalité salariale homme-femme.

Et maintenant, à vous de jouer !
Maria-Nella

Auteur : Michel Bellier
Mise en scène : Johanna Boyé
Comédiennes : Brigitte Faure, Anna Mihalcea, Pamela Ravassard, Elisabeth Ventura
Costumes : Marion Rebmann
Univers sonore : Mehdi Bourayou
Lumières : Cyril Manetta
Scénographe : Olivier Prost

Théâtre Rive Gauche

Du mercredi au samedi à 19h
Matinées les dimanches à 17h30

https://www.theatre-rive-gauche.com/spectacle-les-filles-aux-mains-jaunes.htm

Article dédié à mes arrières grands-parents