Le roi des pâquerettes
Si vous êtes un fana d'aviation et encore plus de sixième art, vous devriez savoir que l'histoire de Louis Blériot n'a jamais été jouée au théâtre. Alors pour couvrir l'événement, ce soir je décide d'enfiler ma tenue de pilote et de mettre mes lunettes d'aviatrice. Le temps de prendre place à bord, de regarder une nouvelle fois mon plan de vol et de relire ma check-list, me voilà prête à décoller pour le début du XXe siècle.
Louis Blériot et sa femme Alicia emménagent dans une petite chambre d'hôtel de la ville de Calais. Louis n'a qu'une seule idée en tête : être le premier homme à voler au-dessus de la mer. A bord de son aéroplane, le Blériot XI, il va tenter la traversée de la Manche. Pourtant Louis Blériot ne fait pas figure de favori. Affublé du triste surnom de « l'homme qui tombe toujours » avec ses 31 crashs au compteur de son altimètre, l'exploit semble hors de portée. Surtout que la concurrence est rude. A bord de son Antoinette 7, Hubert Latham pilote plein de panache et qui ne pense qu'à s'envoyer en l'air (dans tous le sens du terme) a lui-même les mains sur les commandes. Tous deux gonflés à bloc par l'enjeu du défi et par un journaliste un rien pot de colle, les deux hommes vont se lancer dans le premier rallye aérien de l'histoire avec pour récompense d'inscrire à jamais leurs noms dans les mémoires de l'aviation.
Rejoindre l'Angleterre à bord d'un parapluie volant et parfois avec un coup dans le nez ? Pari risqué me direz vous, surtout à une époque où la météo se prévoyait en regardant la brillance des étoiles, en sentant le fumier ou en se fiant à ses rhumatismes. Et même pour ces deux têtes brûlées, parcourir les 37km qui séparent Calais de Douvres relève de l'inconscience si ce n'est de la folie. Malgré les doutes qui parfois l'assaillent, Blériot trouve cependant les ressources pour aller au-delà de ses peurs. Entouré d'une fine équipe de mécanos et d'une épouse pétrie d'admiration pour son mari mais qui n'hésite pas à tenir tête à ce monde d'hommes, Louis Blériot va tenter l'impossible.
Côté mise en scène, le réalisme est le maître mot de ce spectacle. Les costumes et les décors d'époque nous plongent littéralement dans l'ambiance de ce début de XXe siècle qui a vu naître les pionniers de l'aviation. Il est à noter le petit clin d'œil fort sympathique adressé à la plateforme d'Issy les Moulineaux qui en son temps a vu passer pas mal de fous des mannettes. Mention particulière faite aux effets sonores : le bruit du vent, de la pluie et des moteurs d'avion accroit le réalisme de cette pièce. Le jeu des comédiens est précis et dynamique. L'alternance entre les scènes très rythmées tenant le public en haleine, avec des scènes plus lentes, posant l'histoire, est équilibrée. Symboliquement, le duel qui se joue au plateau met en exergue les caractères radicalement opposés des deux personnages principaux. Chez Blériot rien ne dépasse, tout est au diapason, calculé au tour d'hélice près. Latham quant à lui n'obéit qu'à une règle : il n'a pas de règle. Alors que Blériot est plutôt dans ses pensées, Latham est une tornade de mouvements. Même les espaces de jeu sont limités à la scène chez Blériot, alors que Latham brise volontiers le quatrième mur jusqu'à s'envoler au paradis.
Au-delà de l'exploit de l'aviateur, la pièce dresse le portrait d'un homme qui a marqué son époque et dont l'influence rayonne aujourd'hui encore. En effet, par ses recherches et ses exploits Louis Blériot a jeté les bases de l'aviation civile et de la construction aéronautique moderne. De plus, au-delà des limites posées par les technologies de l'époque, le spectacle aborde également les difficultés rencontrées par les contemporains de Blériot et qui se posent aujourd'hui encore aux pilotes du XXIe siècle tel que le péril aviaire. Enfin, cette pièce mise sur la pédagogie. Il n'est nullement obligatoire d'être sorti de l'ENAC ou de l'ISAE pour assister à ce spectacle. Les néophytes comme les professionnels seront dans leur élément. Après cette pièce, la prochaine fois que vous vous envolerez, vous ne verrez plus l'aviation civile de la même manière.
Mesdames et messieurs, attachez
vos ceintures.
Et maintenant, à vous de voler !
Maria-Nella
