Le dernier cèdre du Liban

22/07/2019

C'était loin d'être gagné que d'assister « Au dernier cèdre du Liban » tant le succès de ce spectacle a envahi une nouvelle fois le festival. S'accorder sur l'emploi du temps du groupe, caser cette pièce et dégoter des places n'a pas été une mince affaire. A croire que nous étions maudites, emportées par l'euphorie du festival, nous nous sommes même trompées de théâtre. Épuisée par ce marathon de pièces, les articles à écrire et les nuits très courtes, je suis à deux doigts de jeter l'éponge et de ne pas y aller. D'autant que le théâtre des lucioles est à l'opposé de là où nous nous trouvons. Mais c'était sans compter la détermination d'Agathe* qui en deux temps trois mouvements parvient à me regonfler à bloc. Le spectacle commence dans 15 minutes et le théâtre est à 14 minutes de marche rapide de là où nous sommes. Ça peut le faire. Sitôt le GPS branché, nous voilà parties en petites foulées sous une chaleur caniculaire. Nous arrivons juste à temps et avons même réussi à grappiller une minute de rab sur l'horaire prévue. Ça valait le coup de réserver et de payer les places en avance.

Sitôt installées (sur une fesse), sitôt le rideau se lève. Enfin pas tout à fait car le rideau est déjà levé. Le grand plateau comporte à cour et à jardin de multiples portants sur lesquels reposent vêtements et accessoires. En fond de scène, sur une estrade, un comédien vêtu d'un jean noir et d'une veste de survêtement rouge à capuche se balance en avant et en arrière au rythme de la musique qui sort de ses écouteurs. C'est Eva Duval (Magali Genoud), une ado orpheline placée dans un CEF (Centre d'Education Fermé). Depuis son enfance qui n'a rien de tendre, Eva est révoltée contre le système, contre Nassim son seul ami au centre à qui elle fait de temps en temps des gâteries, contre les psychologues et les éducateurs (personnages masculins tous interprétés Azeddine Benamara ). Bref, avec elle le monde entier s'en prend plein la gueule.
Quelques temps avant sa majorité, Eva est convoquée chez un notaire. Contrairement à ce qu'elle pensait, sa mère, aujourd'hui décédée, l'avait reconnue lui permettant d'être ainsi sa légataire. De l'héritage Éva ne peut espérer pas grand-chose sauf peut-être une boite que sa mère lui a laissée. Elle contient un dictaphone et quelques cassettes. Au travers de ces enregistrements, Eva va enfin faire la connaissance de cette mère perpétuellement absente et de son passé.

Flash-Back. 
Par un simple changement de costume et de lumière, le public est projeté quelques décennies en arrière. Anna Duval (toujours Magali Genoud) est reporter-photographe de guerre et le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle en a dans le pantalon. Libre, indépendante et passionnée par son travail, elle ne refuse jamais une mission même dans les coins les plus dangereux du globe, quand elle ne les quémande pas elle-même. Anna revient sans cesse là où la guerre fait rage cherchant perpétuellement à travers son objectif à montrer la réalité du front et des conflits qui nous dépassent. La guerre du Liban est d'ailleurs le théâtre principal de la trame. Partagée entre sa passion de reporter et le désir grandissant de connaître cette enfant qu'elle a laissée derrière elle, Anna a donc l'idée de s'enregistrer afin de laisser un précieux témoignage à sa fille inconnue.

Dans ce drame extrêmement bien écrit et mis en scène avec puissance, le public est projeté avec fracas dans cette relation distante de presque 18 ans entre une mère et sa fille, avec pour décor la réalité insoutenable de la guerre. D'un point de vue du jeu, il est intéressant de souligner le paradoxe entre les deux comédiens. D'un côté, Magali Genoud ne va interpréter que deux rôles, la mère et la fille, deux personnages qui dans la vie, comme sur scène, ne se sont quasiment jamais croisés. Magali Genoud arrive à jouer tantôt sur la candeur de son visage juvénile quand elle interprète Éva, tantôt sur son caractère de femme affirmée et prête à tout pour un cliché ou un homme quand elle interprète Anna. Le parallélisme entre les conflits intérieurs d’Éva et ceux que vit sa mère sur le terrain de la guerre est flagrant. Cette relation filiale par procuration qui se tisse, en dépit de la volonté d’Éva, constitue la clé de voûte de toute l'histoire. 
De l'autre, Azeddine Benamara va quant à lui interpréter tous les rôles masculins (et il y en a une palanquée) qui gravitent autour de cette relation mère-fille. Par une gestuelle précise, un timbre de voix ou un accent différent, un costume ou un accessoire propre à chaque personnage, le comédien va déployer l'éventail de son répertoire afin que chaque rôle trouve la place qui lui revient. Certes la relation Eva-Anna est prédominante dans le jeu mais au fil de l'histoire les rôles masculins trouvent petit à petit un équilibre avec les deux rôles principaux.

Le moins que l'on puisse dire c'est que ce spectacle a le souci du détail. Certes l'imaginaire y est prépondérant mais le petit accessoire constamment présent sur scène et qui va faire la différence, aide le public à la compréhension de l'environnement dans lequel le personnage évolue. Le travail sur les lumières (douches, rayons de lumière au sol, fondu, ombre chinoise...) et sur le son (musiques, bruits des manifestants, déflagrations, la voix presque robotique d'Anna sur ses enregistrements...) sont à mettre en avant car ils sont eux aussi les instruments de l'intrigue qui se veut la plus réaliste possible.

Au-delà d'une histoire évoluant au sein de conflits politiques et religieux mais dont l'environnement ne constitue qu'un simple décor, « le dernier cèdre du Liban » est une pièce pleine d'humanité. A travers les enregistrements d'Anna, Éva fait enfin la connaissance de son histoire pour tenter de trouver la paix. Tel le cèdre, ces deux personnages sont bien distincts comme deux branches du même arbre mais sont issus du même tronc. Un très beau spectacle riche en émotions qui valait le coup qu'on se dépêche, un autre coup de cœur de mon Avignon 2019.

Et maintenant, à vous de jouer !
Maria-Nella

*le prénom a été changé.

Metteur en scène : Nikola Carton
Interprète(s) : Magali Genoud, Azeddine Benamara
Scénographie & Lumières : Vincent Lefevre
Musique : Chadi Chouman
Costumes : Clémentine Savarit
Diffusion : Elsa Tournoux
Auteure : Aïda Asgharzadeh
ACME
La Cie L'Envers des Rêves - Le Théâtre National de Gascogne - Le Théâtre de la Verrière (Lille)

Théâtre des Lucioles - 22 juillet 2019

À 18H35 : DU 5 AU 28 JUILLET - RELÂCHES : 9, 16, 23 JUILLET