Le banquet
Ce soir c'est une première. Je vais voir une pièce de théâtre... sans dialogue. Si si je vous jure que ça existe. Enfin sans dialogue pas tout à fait, plutôt une pièce déclamée en grommelot : « le banquet » écrit et mis en scène par Mathilda May. En effet, tout au long du spectacle, les comédiens jouent des situations clownesques sans prononcer une seule phrase mais plutôt un charabia qui sont les seuls à comprendre.
Côté jeu, dans ce spectacle la troupe joue sans filet car sans texte. Ainsi, les comédiens sont à 200% dans l'intention, le placement de voix et le jeu de masque. Le public assiste à un mélange équilibré de burlesque, de clown et de mime. Ainsi, quand le « cousin trucmuche » tente timidement de se mettre en avant jusqu'au dérapage, on croit entrapercevoir derrière lui l'ombre chinoise bienveillante de Charlie Chaplin. En plus de la gestuelle, la pièce mise sur les effets visuels mais pas forcément là où on les attend : projections, jeu de lumières. Le son est également de la partie surtout quand Dame nature s'en mêle.
Le moins que l'on puisse écrire c'est que côté décor, on s'y croit vraiment. Le public a l'impression d'assister à un vrai banquet de mariage. Soutenu par un poteau métallique central, une immense toile de barnum a été déployée au-dessus de la scène, des tables joliment décorées de petites lanternes blanches ont été disposées un peu partout et en fond de plateau légèrement surélevée, détail qui a son importance, trône une grande table de buffet sur laquelle sont disposées des fleurs et des bouteilles de champagne, signe avant-coureur d'une beuverie générale. Pour ce qui est des costumes, contrairement à la joie que peut inspirer un mariage, les invités respectent un code couleur assez froid fait de gris, de blanc et de noir, allégorie cachée d'une ombre qui plane sur la fête.
Structurellement, ce spectacle est une vision d'ensemble fait de petites saynètes toutes liées entre elles. Le public pourrait craindre que sans repère textuel, cette pièce soit un vaste bazar très confus fait de multiples situations qui se mélangent. Il n'en est rien car lorsqu'une action scénique prend le pas, les autres se temporisent jusqu'à ce qu'une nouvelle situation prenne le relais. Le spectateur ne perd donc jamais le fil de l'histoire.
Le spectacle « le banquet » est une pièce de prime abord déstabilisante car en dehors des normes et des codes théâtraux. Mais une fois le cap passé, forcé de constater que cette pièce hilarante est très structurée car elle met le paquet sur tout le reste : la mise en scène, les intentions de jeu, le son et lumières, les projections, le décor, les costumes... Dans ce spectacle pas si éloigné que ça de la réalité, on est dans le délire le plus total et le dérapage incontrôlé. Sans le précieux texte, le public pourrait craindre de ne pas pouvoir suivre l'histoire. Mais la structure de la pièce et l'énergie déployée par tous ces comédiens font qu'il est aisé de ne pas perdre le fil et de se taper une bonne tranche de rigolade. Vous pouvez même y amener vos copains étrangers de passage à Paris et qui ne maîtrisent pas le français. Car l’une des leçons a retenir est que le grommelot est décidément une langue qui n'a pas de frontière.
Théâtre de Paris, les 19 et 22 février 2020