La puce à l'oreille

20/10/2023

Rien ne va plus chez les Chandebise. Raymonde est persuadée que son mari la trompe. Ayant intercepté « en toute innocence » un paquet contenant une paire de brettelles appartenant à son époux, la maîtresse de maison se sent bafouée dans son honneur. Pourtant, à première vue, rien ne semble désigner son Victor-Emmanuel comme un fieffé filou, son physique n'ayant rien d'attirant. Si ce n'est que les bretelles ont été perdues à l'hôtel « le minet galant » situé sur la commune de «Montretout». Après un petit aller-retour dans le dit hôtel, Raymonde est forcée de constater avec effroi que cet établissement porte bien son nom et sa réputation. Bien décidée à confronter son époux et aidée de sa meilleure amie Lucienne, Raymonde va lui tendre un piège afin de le prendre… « la main dans le sac » et par la même occasion, lever le voile ou plutôt l'élastique sur ces bretelles accusatrices.

Dans ce célèbre Feydeau, prenez une femme trompée, une amie malicieuse, un mari à priori bien sous tous rapports, un époux jaloux, le cocu de service qui ne l'est peut-être pas, une soubrette un rien délurée, des patins qui tombent du ciel, un bellâtre coureur de jupons, vous rajoutez une fanfare, des skieurs de fond, un garçon d'hôtel sosie du maître de maison, un Américain au costume de boxeur, une patronne d'hôtel habillée comme un sapin de Noël, un ancien militaire au coup de pied facile, un malade imaginaire, un médecin à la cravate dépassant de son gilet, un neveu allergique aux consonnes, vous mélangez aussi énergétiquement que possible, vous soupoudrez le tout d'un parfum irrésistiblement sensuel et vous obtiendrez un vaudeville plus que réussi dont la Comédie Française a le secret.

Dans cette adaptation de ce classique de Feydeau, il est clair que le Français y aura « mis le paquet ». Les décors sont majestueux. Le public est accueilli dans l'intérieur chaleureux d'un chalet de luxe. Les boiseries vintages mais tellement à la mode viennent entourer l'espace scénique. A cour, est disposé un secrétaire années 50 à tiroir où se cache la correspondance faussement outrageuse et qui va mettre littéralement le feu aux poudres. En centre de scène, trônent un canapé de velours vert entouré de fauteuils gris, une table basse, une plante maracas et à jardin, une cheminée avec un faux tapis à tête de fauve. De part et d'autre de la scène, des portes menant vers les dépendances de la maison permettent les entrée et sorties des comédiens. En fond de scène à cour, une immense baie vitrée donnant sur la campagne enneigée où nous pouvons admirer le talent de skieurs de fond. Même dans les espaces semi cachés, l'entrée du chalet par exemple, le décor est soigné permettant aux comédiens d'assurer le show même hors de vue du public.

Toute la scénographie gravite autour des années 50, du décor aux costumes en passant par la manière de se mouvoir des deux comédiennes principales. En effet, en femmes respectables de la haute société, ces dernières traversent le plateau délicatement, à petit pas comme si elles ne voulaient pas déranger les affaires importantes de leurs maris.

Côté jeu, dès les premières entrées en scène, le rythme effréné est donné. Les comédiens vont, viennent, entrent sur scène, font parfois des cabrioles et ne s'accordent que très peu de temps de pause. Tout en restant dans leurs personnages, les artistes accentuent légèrement le trait pour faire ressortir le comique de situation. J'ignorais qu'il était possible de se trémousser de la sorte à la simple écriture d'une lettre. Mention spéciale à Jérémy Lopez dans son rôle de Carlos Homénidès de Histangua, figure faisant étrangement écho au personnage du Général Irrigua dans un fil à la patte du même auteur. Avec son accent ibérique exagéré jusqu'à la caricature, le potentiel comique du rôle de Carlos Homénidès de Histangua donne à la pièce un relief explosif dans tous les sens du terme et le public en redemande. La diction de Camille Chandebise relève aussi d'un numéro d'équilibriste très réussi. Ce qui parait être du gromelot de prime abord relève en fait d'un texte beaucoup plus structuré dont la gymnastique de prononciation n'est pas évidente. Bravo !

Pour conclure, tout y est dans ce vaudeville à la sauce XXe siècle : une intrigue comique, des portes qui claquent, reclaquent et re-reclaquent, des « ciel mon mari », des quiproquos en pagaille, des rôles surréalistes, le tout dans une énergie à couper le souffle et un décor conçu tel un écrin de bois précieux. La Comédie Française signe là une adaptation de ce classique de Feydeau de très grande qualité et qui restera sans doute dans les mémoires du sixième art.

Et maintenant, à vous de jouer !
Maria-Nella

De : Georges Feydeau
Mise en scène : Lilo Baur
Scénographie : Andrew D Edwards
Costumes : Agnès Falque
Lumières : Fabrice Kebour
Musique originale et son : Mich Ochowiack
Réglage des mouvements : Joan Bellviure
Collaboration artistique : Katia Flouest-Sell

Avec :
Thierry Hancisse : Augustin Ferraillon
Alexandre Pavloff : Docteur Finache
Clotilde de Bayser : Olympe Ferraillon
Serge Bagdassarian : Victor-Emmanuel Chandebise et Poche
Bakary Sangaré : Baptistin
Nicolas Lormeau : Étienne
Jérémy Lopez* : Carlos Homénidès de Histangua
Benjamin Lavernhe* : Carlos Homénidès de Histangua
Sébastien Pouderoux : Romain Tournel
Anna Cervinka : Raymonde Chandebise
Pauline Clément : Lucienne Homénidès de Histangua
Yoann Gasiorowski* : Carlos Homénidès de Histangua
Jean Chevalier : Camille Chandebise
Élise Lhomeau : Antoinette
Birane Ba* : Rugby
Nicolas Chupin* : Rugby

Et la comédienne et les comédiens de l'académie de la Comédie-Française
Sanda Bourenane : Eugénie
Vincent Breton, Olivier Debbasch, Alexandre Manbon : des skieurs et une fanfare

* en alternance

Comédie Française - Salle Richelieu - Du 19 septembre 2023 au 1e janvier 202'

https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/la-puce-a-loreille-23-24

Spectacle créé le 21 septembre 2019 - Durée 2h10 sans entracte