Ils ne mouraient plus mais étaient-ils encore vivants?

20/07/2019

Quand Brigitte* s'est pointé ce matin même avec le flyer de la pièce « ils ne mourraient plus mais étaient-ils encore vivants », j'avoue que mon enthousiasme n'était pas trop au rendez-vous, sans doute parce que le sujet me touche particulièrement. Au final, je me laisse quand même embarquer pour ce voyage franco-argentin.


La salle est blindée. Après nous être installés à la queueleuleu, (car nous ne faisons jamais rien comme tout le monde), les lumières s'éteignent. Nous sommes complètement dans le noir et ce ne sont pas les lumières qui éclairent le décor sombre sur scène qui vont me servir de veilleuse. Je me dis que ça va être chaud pour prendre des notes.

Pour ce qui est du pitch, Mamita a 87 ans et le temps semble s'être arrêté pour elle. Dieu l'a sans doute effacée de ses registres. Il y a 10 ans, à son entrée en maison de retraite, tout le monde pensait que Mamita passerait l'arme à gauche les mois suivants. Mais Mamita est coriace et s'accroche dur à en devenir désagréable (pour ne pas dire ch(grossièreté)ante). Le problème c'est que d'entretenir ce corps qui tombe en ruine mais qui ne veut indéniablement pas s'écrouler, ça coûte cher, très cher pour ses enfants. Financièrement et nerveusement, ils n'en peuvent plus. Ils prennent alors une décision radicale : faire le travail du bon Dieu afin que Mamita aille le rejoindre vite. Mais comment la tuer sans que cela éveille l'attention? That is the question (comme dirait William).

Dans "ils ne mouraient plus mais étaient-ils vivants", la scène du théâtre de l'oulle semble être coupée en deux. Devant, se déroulent les scènes de la vie quotidienne. Au fond, à travers un fenêtre opaque, sont jouées des scènes plus floues relevant parfois du rêve (ou du cauchemar). Il faut souligner le décor à la fois sobre et travaillé. Toutes les parois, voire des éléments du décor semblent être un immense tableau noir sinistre sur lequel sont inscrits les prix exorbitants des services aux personnes âgées, ainsi que le plan diabolique de la fratrie. A certains endroits dans les parois, on devine des espaces qui communiquent vers le fond de scène en mode "passe-muraille" et qui tracent le trait d'union entre rêve et réalité. 

Avec légèreté et aplomb la compagnie franco-argentine Aviscene traite d'un sujet grave. La vieillesse et tout ce qui va avec : la sénilité, le corps qui ne suit plus, les oreilles qui tombent en panne (quand ce n'est pas la mémoire), l'incontinence solide, liquide et j'en passe, les souvenirs du temps passé où tout semblait si simple et l'impuissance de l'entourage face au déclin. Tout au long de la pièce, les comédiens sud-américains, dont le niveau de français est excellent, font passer le public du rire aux larmes avec talent. Ainsi, les scènes comiques laissent place à un accordéon plaintif qui traduit toute la souffrance et détresse des enfants de Mamita.

Ce que je craignais est arrivé car au sortir de la pièce je suis très émue. J'ai ri, même beaucoup mais j'ai pleuré aussi car ce sujet m'a touché particulièrement. Ma grand-mère a vécu chez nous pendant les 8 dernières années de sa vie et ce ne fut pas toujours drôle surtout pour ma mère. Quant à mes notes, elles ne ressemblent à rien. On croirait un cahier sur lequel un enfant de l'école primaire s'est acharné. Mais l'émotion est là et c'est ma meilleure alliée pour écrire cet article car au delà de l'aspect humoristique dont ce sujet est traité, cette pièce nous interpelle sur la condition des personnes âgées et sur leur place dans notre société. Elles nous rappelle à quel point celles-ci pouvaient être actives étant jeunes jeunes et à quel point les enfants peuvent se sentir démunis face à la décrépitude de leurs parents. Au final, ces êtres à la fois tant aimés mais parfois tant détestés du fait de leur dépendance nous quitteront fatalement, laissant certes derrière eux peut-être un soulagement pour l'entourage mais aussi et surtout un grand vide.

Et maintenant, à vous de jouer!

Maria-Nella

*Le prénom a été changé.

Metteur en scène : Sophie Gazel
Interprète(s) : Victoria Monedero, Pablo Contestabile, Cecilia Lucero, Tomas Reyes, Dorothée Dall'Agnola, Dioline Coucaud
Lumières : Pierre Montessuit
Musiques : Antoine Banville, Christophe Sechet
Son : Fabien Vandroy
Décors : Goury
Scénographie : James Boucher

La Factory - Théâtre de l'Oulle - 20 juillet

Du 5 au 28 juillet 2019 - 14h05 - Relâches les 5, 15 et 22 juillet 2019