Ich Bin Charlotte

09/11/2019

Samedi 9 novembre. Je fais le pied de grue devant la scène libre. Loïc* mon accompagnant du jour est en retard et nous sommes à moins de deux minutes du levé de rideau. Je suis un peu en panique et comble du comble, je crois que j'ai chopé une grippe intestinale. Pour tromper le stress et la douleur, je commence à me taper la discute avec l'ouvreur qui tente de me rassurer en invoquant des problèmes de transports. Loïc finit par arriver. Nous nous engouffrons dans la salle en courant. Nous sommes à deux doigts de nous vautrer dans les escaliers. Plutôt discrète comme entrée en matière. Nous prenons place et moins de 30 secondes plus tard, le spectacle commence. C'était moins une.

Le plateau est orné de meubles. Au centre un buffet en bois massif. La partie supérieure est une vitrine qui laisse apparaître de petits meubles façon maison de poupée. De toutes parts sur le plateau, des gramophones de toute taille posés sur des guéridons. A cour une chaise, un secrétaire, et à jardin, une banquette de velours vert. Nous sommes dans un musée. Celui de Lothar Berfelde, plus connu sous le nom de Charlotte von Mahlsdorf, un travestit Berlinois. 

En ombre chinoise, Charlotte rentre sur scène éclairée d'une lumière violette fantomatique qui me fais chuchoter un "ça fait peur" à Loïc. Puis Charlotte apparaît de toute sa superbe en pleine lumière. Elle est belle et délicate. Une Lily Marleen brune. Toute de noir vêtue. Avec une jupe longue qu'elle déplie parfois comme un éventail, qui une fois transformée en queue de pie, dévoilera symboliquement un monde prohibé. Je remarque ses talons hauts, vernis noir, de 7 à 9 cm. Je suis une championne pour repérer les belles chaussures, un peu moins pour les porter... Aïe. Performance physique : Charlotte ne fait pas que porter des talons hauts pendant plus d'une heure (même dans les scènes où elles jouent des hommes), elle virevolte sur la pointe des pieds dans des danses déchaînées. De temps en temps elle dévoile ses jambes (peut-être un peu plus velues mais bien plus belles que les miennes je vous assure).

Pendant près d'une heure et demi, Charlotte va nous raconter sa vie. De son adolescence où elle prend conscience qu'elle est une femme enfermée dans un corps d'homme, ses relations conflictuelles avec son père un bourreau nazi, des vêtements qu'elle empruntait à sa mère, le Berlin coupé en deux, la Stasi et ces journalistes américains qui veulent percer le mystère de sa vie pour en faire une pièce. Car Charlotte est un personnage de la vie Berlinoise. Son musée devient le refuge de meubles mais également celle de la communauté homosexuelle, jusqu'à ce que Charlotte soit poussée l'exode.

Le jeu de Thierry Lopez qui incarne Charlotte et la trentaine de personnages qui gravitent autours d'elle, est à l'image de la protagoniste principale, subtil et tout en délicatesse. Il est à noter le jeu de masques et de mime notamment quand Charlotte imite les cliquetis du mécanisme d'une vieille horloge. La musique est également une compagne importante dans ce spectacle. Elle nous transporte dans ce Berlin underground et dans cette société moderne qui se cherche.

C'est la fin de ce seul(e) en scène et le public est scotché. Loïc a du mal a contenir son émotion, il en tombe presque de sa chaise (sans exagérer) et moi j’ai les larmes aux yeux (sans parler de mon ventre qui fait un bruit de camion poubelle). Ce spectacle est de très haut niveau en tous points : le jeu, l'histoire, la mise en scène... Nous sommes invités à nous renseigner sur la vie de cette Berlinoise qui a traversé ce 20e siècle troublé sans trahir sa propre identité mais non sans heurts. Plutôt un bel hommage le jour des 30 ans de la chute du mur de Berlin.
Und jetzt liegt es an Ihnen! (Danke Google)
Maria-Nella

*le prénom a été changé

Une pièce de Doug Wright
Adaptation Natacha Markoff
Avec Thierry Lopez
Lumières Jacques Rouveyrollis assisté de Jessica Duclos
Costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Création sonore Maxime Richelme
Chorégraphie Anouk Viale
Assistante mise en scène Stéphanie Froeliger
Mise en scène Steve Suissa