Eurydice

04/09/2023

Ce soir c'est au petit théâtre de poche Montparnasse que j'ai rendez-vous et c'est accompagnée de mon fidèle ami de théâtre Julien* que je prends place pour assister à Eurydice de Jean Anouilh.

Le rideau se lève sur un hall de gare. Au loin résonnent le vibrato d'un violon plaintif. Orphée joue une musique mélancolique qui illustre son triste destin. Condamné à suivre un père sans le sou, harpiste raté et épicurien un brin malsain, Orphée se réfugie dans la musique comme pour échapper à un avenir bien terne.
A la faveur d'un retard de train, Eurydice rentre dans ce hall de gare. Elle aussi ne jouit pas de la perspective d'un avenir radieux entre une mère comédienne un peu mégalo, à la voix qui caquette et la tournée de sa compagnie de théâtre ressemblant à une longue traversée du désert. Au milieu de ce capharnaüm ferroviaire fait de valises, de porteurs, d'annonces de trains, Eurydice, comme ensorcelée par les notes du violon d'Orphée, croise son regard et c'est le coup de foudre. Très vite ils abandonnent tout : mère-diva et tournée des théâtres aux petits cachets pour l'une, père-paumé et concerts en terrasse rémunérés au chapeau pour l'autre… Mais ce nouvel avenir qui se voulait sans nuages va prendre un tournant tragique. Après leur première nuit d'amour, Eurydice est à jamais emportée dans les ténèbres par un obscur concours de circonstances. Entre alors en scène l'énigmatique Monsieur Henri qui semble particulièrement intéressé par le destin tragique des jeunes amants jusqu'à proposer à Orphée l'impossible.

Dans ce spectacle, le texte de Jean Anouilh dépoussière le mythe d'Orphée et Eurydice en le transposant au 20e siècle et en rappelant indéniablement les concepts entremêlés de l'éros et du thanatos. L'écriture de l'auteur aux accents parfois ironiques offre quelques bulles d'humour légères et bienvenues. Enfin, le choix du lieu de cette tragédie est riche de symbole : quoi de mieux qu'une gare, lieu de passage par excellence, pour à la fois tomber amoureux mais aussi accéder à d'autres mondes, ceux d'ici et de l'au-delà. 

La mise en scène signée Emmanuel Gaury et qui ce soir là interprétait Orphée, est magistrale. Elle se veut simple et moderne pour mettre le jeu des comédiens au centre de l'action scénique. Le décor ne comporte que quelques accessoires au plateau (table, chaises, banquette…) et une mystérieuse alcôve en fond de scène. Comme pour ne pas distraire le public de l'essentiel, les comédiens ne portent pas de costumes aux couleurs criardes. Ils sont habillés dans une palette de tons plutôt neutres (noir, marron, beige, crème, couleur pastel) et d'époque années 40. Pour parachever la mise en scène, le son, la lumière, l'utilisation de fumée sur laquelle est projeté un subtil jeu d'ombres chinoises viennent accentuer le caractère mystique de cette œuvre. Côté interprétation, le public est transporté par une rythmique soutenue. L'action est dynamique, entrainante, sans temps mort. De plus, la diction des comédiens et des comédiennes est impeccable tant au niveau de l'articulation que du placement de voix. Même au fond de la salle, il était aisé de comprendre le texte.

Eurydice : le mythe antique revu et corrigé par la plume de Jean Anouilh à la sauce 20e siècle et par la mise en scène d'Emmanuel Gaury à la sauce 21e. Un spectacle très prometteur en ce début d'été et en ce premier jour du festival Off d'Avignon !

Et maintenant, à vous de jouer !
Maria-Nella

Texte : Jean ANOUILH
Mise en scène : Emmanuel GAURY
Avec (en alternance) : Bérénice BOCCARA ou Lou LEFÈVRE - Gaspard CUILLÉ ou Emmanuel GAURY - Benjamin ROMIEUX - Corinne ZARZAVATDJIAN - Patrick BETHBEDER - Maxime BENTÉGEAT ou Victor O'BYRNE ou Pierre SORAIS - Jérôme GODGRAND
Musique : Mathieu RANNOU
Lumières : Dan IMBERT
Costumes : Guenièvre LAFARGE

*le prénom a été changé

Théâtre de poche Montparnasse - À partir du 4 SEPTEMBRE 2023 - Tous les lundis à 21h

https://www.theatredepoche-montparnasse.com/project/eurydice-2/